Recherches des art-thérapeutes promotion 2022

Au fil des mois, Nadège a pu s’emparer des espaces physiques et psychiques soutenus par l’art- thérapeute et moi-même. Son appropriation des outils ainsi que son utilisation opérationnelle de la matière comme instrument d’exploration sont autant de marque des processus de transformation en jeu pour elle. La matière outil, quand la couleur permet l’appréhension de la limite et l’outil matière, quand le scotch devient trace autant de procédés singuliers par lesquels les mouvements de différenciations sont explorés, où les questions sujet/objet peuvent venir se négocier.

J’ai tenté de montrer dans ce travail comment un dispositif d’atelier en art-thérapie est soutenu par le désir positionné d’un animateur/thérapeute, notamment à travers l'évolution du dispositif proposé. Comment cette position de l’art-thérapeute conditionne l’ouverture possible d’un espace de travail thérapeutique, dans lequel les participants peuvent, en sécurité, s'investir, entrer en jeu.

Les productions plastiques de Nadège mais aussi l’ensemble de l’investissement de son temps de création : les silences, la mise au travail, la sortie d’atelier sont autant d'espaces potentiels d’expression. Avec l’idée que le type de regard porté sur un travail plastique nécessite attention et créativité pour en percevoir la singularité mais aussi pour permettre à celle-ci de se manifester. Autrement dit, poser un regard particulier et global, une attention rigoureuse et vague, un cadre d’atelier positionné mais évolutif comme critères nécessaires à l’accompagnement mais aussi à l’existence du mouvement thérapeutique. 

Lya Tourn dépeint “l’attention flottante” nécessaire au psychanalyste en empruntant le conseil de Freud: “Il propose à l’analyste une technique "très simple”: récuser en bloc les moyens auxiliaires, “même la prise de notes”, tenir à distance “les effets ressortissant à la conscience” et accorder à tout ce qu’il lui est donné d’entendre［ou de voir pour l’art-thérapeute］ “la même attention en égal suspens”. S’arracher aux appuis familiers dont on se sert d’habitude pour s’aider et “dresser l’oreille”, laissant en même temps l’attention “planer” librement sur l’ensemble des éléments constitutifs du discours sans distinction ［...］.

L’action de l’art-thérapeute est indirecte, dans la façon dont il se positionne, met à disposition du matériel et se met à disposition lui-même pour fluidifier les relations des participants à la matière et entre eux. S’inscrire dans un temps long, pour laisser les processus et les positions de chacun se mettre en place et s’épanouir, pour faire partie intégrante de l’expérience d’atelier en art-thérapie. Et dans mon cas pour tenter de me décoller de réflexes “scolaires” et empressés.

Au-delà de l’impression que toutes les séances se ressemblent, regarder dans le détail sans attente pré-établie, et percevoir la multitude de tentatives et d’expériences initiées par Nadège offrant une richesse de procédés créatif d’appropriation et de navigation de sa problématique. Dans les interstices de ses entremêlements de matière. Dans l’application d’une répétition qui se joue du même. 

Quels prolongements d’atelier possibles ? D’abord favoriser la possibilité de ses explorations en soutenant un cadre dans lequel elle sait être sujet. Et puis, ponctuellement, poursuivre de nouvelle proposition d’outils ou de matières pour lui permettre de s’emparer de cette déclinaison créative que j’ai pu observer. Lui proposer un pas de côté.  

Stage auprès d’enfants autistes et psychotiques au sein de l’atelier d’art-thérapie d'un Centre Pédopsychiatrique.

Durant ce stage au centre pédopsychiatrique, beaucoup de questions m’ont traversé. Quelle attitude adopter face à ce chaos qu’a représenté pour moi, l’entrée dans l’univers de cet Hôpital de Jour ? Comment ‘entrer’ dans cet atelier d’art-thérapie ? Comment ajuster ma présence ? Peut-être que cette notion de bord qui m’a travaillé durant toute l’élaboration de ce mémoire a commencé en atelier quand l’art-thérapeute auprès de laquelle j’ai fait mon stage a dit à la fin d’une séance un peu agitée : « Ça déborde trop ! ». Qu’est-ce qui a débordé ? L’attitude de Lucie (la participante autiste) qui arpentait l’atelier à la recherche de toujours plus de matière (peinture, eau, terre) ? Cela m’a amené à m’interroger sur la notion de bord dans la plastique et plus largement j’aborde dans ce mémoire la question du bord entre le participant et l’accompagnant au sein de l’atelier d’art-thérapie. A travers mes observations cliniques du processus plastique de Mika avec ses assemblages de carton et de photocopies de tableaux de bord électriques mais surtout celui de Lucie avec la terre et l’eau puis avec la peinture et le scotch, les résonances de mon propre processus plastique décrit dans mon carnet de recherches (Lignes bleues :entre blancs et débords) et mon expérience d’apprenti art-thérapeute, je m’approche d’une position professionnelle naissante.

Lors de mon stage dans l’atelier d’art thérapie d’un lieu accueillant en journée des personnes âgées souffrant de maladies neuro-dégénératives, je me suis surprise à observer une personne dont la présence singulière à l’atelier me déstabilisait : Madame Hubert.

Madame Hubert met un temps infini « à s’y mettre ». Elle est dans l’atelier présente et attentive. Mais je note chaque semaine dans mon carnet : « elle ne fait rien » ou « elle regarde, elle parle, mais elle ne touche à rien ».

D’abord j’ai traversé une phase où j’essayais « d’occuper ce vide » ! J’essayais de la mettre au travail !

Et puis peu à peu, je me suis apaisée et j’ai apprivoisé ce long temps de latence.

M’est apparu alors une densité et beaucoup de subtilité, là où je ne voyais que« vide » et « attente ».

Tout au long de mon observation, ainsi qu’en après-coup, et longtemps après, je vais nommer et appréhender différemment ce temps singulier de Madame Hubert. Temps de latence ? Temps de pré-Faire VERS un geste plastique ? Temps de la « mise à l’œuvre » ?

Un temps, parfois très long, qu’elle déploie avant de se lancer dans un geste plastique.

Un temps où elle ne fait pas de geste mais où elle est pleinement au travail.

Un temps sans toucher la matière où la place de l’art thérapeute est essentielle.

La singularité des symptômes de la maladie d’Alzheimer dont souffre madame Hubert pourrait donner une piste pour éclairer ce temps de latence. Mais je ne peux savoir ce qui l’anime profondément à ce moment-là ! Alors, parce que ce moment fait fortement écho à mon propre processus plastique dans la terre, je me suis demandé si on ne pouvait pas y réfléchir en dehors du prisme de la maladie. 

J’ai cherché comment les artistes parlaient de ce temps d’avant le geste plastique.

Et si on l’envisageait comme un temps absolument nécessaire du processus plastique de Madame Hubert ?

Un temps plein, intense, vivant : l’expression de la richesse et de la fécondité de son désir créatif !

L’espace d’un atelier d’art-thérapie – l’espace d’une année.

De mon stage en atelier terre dans un IME, j’ai choisi de partager mes observations sur le processus plastique d’Aline, adolescente de 16 ans autiste, et les pensées et questionnements qu’elle est venue éveiller en moi.

Au-delà du processus plastique en lui-même, sur l’espace du faire qu’est la planche en bois, j’aborde tous ces laps d’espaces en lien les uns avec les autres et qui ont contribué à la mise en œuvre du processus. Tous ces laps d’espaces que sont l’espace géographique, l’espace du faire plastique, l’espace d’un regard, l’espace du temps, l’espace sonore, jusqu’à l’espace d’Aline, celui qu’elle se crée au fil des séances, un espace bordé et sécurisant pour y dire ses éprouvés corporels et psychiques.

Aline investit les espaces de l’atelier terre et parvient à se créer son propre espace en cherchant ses limites, en jouant avec des va-et-vient, en le soulignant grâce à la matière. Peu à peu elle se l’approprie en créant le sien, avec « ses petits bouts qui forment un tout ».

Mais ces espaces sont-ils autant habités quand, en apparence, il ne s’y passe rien (absence, non-faire, silence) ? Ou au contraire, cette immobilité viendrait donner plus de profondeur à ce qui s’y joue ?

Quelle place pour le silence dans l’espace de la parole ? Quelle place pour le repli sur soi dans l’espace de la relation ? Quelle place pour le non-faire dans l’espace du faire ?

Autant de questions qui sont venues me heurter au fil des séances avant de pouvoir être pensées et regardées autrement.

Un extrait du mémoire qui décrit assez bien mon apprentissage autour de cette ouverture . Un « essayé de dire » sous la forme d’un schéma « d’essayer voir ».

Je peux dire que l’invitation à l’ouverture de cet espace se fait par la présence de l’art thérapeute qui fait et qui incarne l’atelier avec son tablier. L’introduction de cet atelier se fait par les gestes et en silence. La disponibilité, l’attention de l’art thérapeute est importante et essentielle. Il va suivre le mouvement où le participant ou les participants arrivent les uns après les autres pour se saisir de la matière disponible entre ses mains. Souvent il reste un participant à la fin de cette séance « pré », les autres finissent par regarder. Finalement, l’autre vient ou ne vient pas, c’est la personne qui choisit mais ce moment va partir de l’art thérapeute. C’est précisément le moment d’ouverture pour cet atelier ambulant.

Les ateliers individuels naissent ainsi : un lieu et un participant. Les participants s’ouvrent et s’offrent en se donnant les moyens de rentrer dans un processus plastique, grâce au mouvement des triangles, matière contre matière. Ils sont reliés par cette matière permettant le début d’un retournement, d’une sorte de bataille intérieure pour le participant. Une ou des batailles d’émotions intérieures ressenties, ou questions posées, ou gestes testés, et cela pendant toute cette traversée plastique à venir. Une bataille pour une harmonie, c’est-à-dire un agencement en soi par la matière, les couleurs, les gestes à venir et soutenu par l’art thérapeute. Cette ouverture, grâce à la matière qui est entre les mains de l’art thérapeute, c’est un espace-temps où des choses se font plus ou moins facilement et naturellement. Le point commun d’entrée et permettant l’accueil puis l’échange entre l’art thérapeute et le participant semble être la matière. Ils vont, à leur façon, donner des choses à voir pour créer et investir dans ce moment de désir à la fois unique et spécifique.

L’ouverture, un espace temps du « pré » pour une séance au plus prés.

Je questionne parallèlement le lien entre cet espace temps de l’ouverture et l’objet final, c’est-à-dire la production du participant en art thérapie sur huit séances en continu autour du pli.

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Lorsque je débute mon stage, j’ai un mot qui me revient et qui me questionne depuis le début de la formation aux Pinceaux : le cadre. C’est quoi un cadre dans un atelier d’art-thérapie ? Qu’est-ce qui est permanent et qu'est-ce qui est mouvant ? Qu’est-ce qui m’est propre et qu’est-ce qui est partagé par la profession. Le cadre de mon stage de 3ème année est un peu flottant, ce manque m’oblige à me constituer rapidement “un cadre portatif” pour tenir. C’est un endroit d'où je pourrai parler, venir penser et transformer mes idées parfois trop figées.

En observant, Yves, Josette et Blanche et leurs mouvements plastiques, je me rends compte de l’importance d’avoir posé des bases de cadre pour pouvoir mieux accueillir leur singularité. Blanche ne fait pas. Josette prend toute la place avec ses allers-retours dans l’atelier pour savoir ce que nous pensons de ses productions. Yves dessine avec l’infirmier qui intervient directement sur son dessin.

Je fais et puis je défais comme sur mon carnet de recherche, où ma première réaction avec la corde est de défaire tout en conservant son unité. Je dé-construis pour construire autrement. Je cherche un espace entre-deux qui puisse accueillir le sujet et ses productions plastiques et où je puisse situer un atelier d’art-thérapie.

Une fois que les bordures de mon cadre sont posées, je me remets en mouvement vers les explorations plastiques de Josette, Yves et Blanche.  Je m’appuie sur le regard entre “regardé” et “être vu”. Je vois chaque geste comme un geste plastique. Le faire plastique donne à voir des façons d’être à l’espace, à la rencontre et au temps dans des rapports singuliers, qui parle de leur être-au-monde.

« Notre vie est faite de passages. Le travail de l’art thérapeute également. »

Je vous invite à explorer certains passages, écarts ou entre deux, comme ceux qui mènent de l’institution à l’atelier d’art thérapie.

Comment Javier, participant de l’atelier peinture au C.A.T.T.P passe de son carnet à croquis qu’il réalise chez lui, aux productions peintures qu’il réalise à l’atelier d’art thérapie, créant ainsi des espaces « entre ».

Comment à travers le travail de Pierre Bonnard et Albert Giacometti j’ai trouvé des appuis pour penser.

J’ai cherchée comment l’entre, l’écart pouvaient être des outils pour l’art thérapeute en étayant ma pensée avec l’ouvrage de François Julien « Entrer dans une pensée»

Pourquoi Hammershoi ? J'ai choisi un tableau d’Hammershoi en introduction à ce mémoire, pour plusieurs raisons.

La première, quand je l’ai vu, immédiatement il m’a fait penser à ce que j’écrivais.  

L’enfilade de portes et de pièces m’évoque les passages, les entres deux.

Le personnage de dos me donne, malgré la sensation d’immobilité du tableau, une impression de mouvement et qu’il se dirige vers …

Quand Hammershoi peint, il procède par soustraction. Il retire de son intérieur, tableaux, objets, ne gardant que l’essence de ce qu’il veut peindre.

Je fais le parallèle avec l’écriture de ce mémoire ou j’ai essayé d’élaguer pour garder une ligne directrice.  

La vie est encore là ?

Une rencontre est-elle réellement possible ?

Comment amener le patient à retrouver un chemin d'expression de soi ?

Comment ne pas se laisser attraper par toutes ces questions spatio-temporelles ?

J'ai vécu mon année de stage avec toutes ces interrogations, mais chacune des séances ainsi que le travail d'écriture du mémoire m'auront permis de faire un pas de plus pour arriver à percevoir la justesse de cette phrase de la psychanalyste Simone Korf Sausse : " Ce n'est pas parce qu'il est vieux que le corps cesse d'être pulsionnel. Ce n'est pas parce qu'il est âgé que le sujet cesse d'être créateur. Ce n'est pas parce qu'il est un vieillard que l'homme ne sait plus l'enfant qu'il a été."

La vie est bien là.

La rencontre se fait en douceur et au rythme du patient.

La proposition plastique ouvre à une expression de soi, la réponse peut être infime ou étonnante.

La solidité du cadre est la condition pour être toujours au plus près du bénéfice du patient.

Ce mémoire porte sur une expérience d’accompagnement art-thérapeutique en atelier fermé de personnes âgées dépendantes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Je souhaite initialement comprendre comment une relation thérapeutique basée sur la médiation plastique peut soutenir une personne dont la mémoire se délite. Deux éléments modifient ma réflexion : d’une part, les mots « sans mémoire, pas d’identité », lus sur le site internet de l’Inserm, et d’autre part une temporalité de stage atypique liée à la pandémie de Covid-19.

Dans ce contexte particulier, une participante, Eliane, retient mon attention. La médiation repose sur des dessins aux crayons de couleur. Les tracés de base sont esquissés au préalable ou au-fur-et-à- mesure par l’art-thérapeute, en fonction des réactions de Eliane en atelier. Entre peurs récurrentes de s’inscrire, doutes, phases d’oubli, de fatigue, entre émotions liées à la beauté ou la couleur, Eliane va cheminer par étapes pour affirmer une singularité graphique. Ma question devient alors : qu’est-ce qui a permis à Eliane d’affirmer ou réaffirmer une identité graphique ?

Aujourd’hui, des convergences existent sur le fait de décrire la maladie d’Alzheimer comme une rupture neuropsychique du lien, des limites, donc des contenus. Par ailleurs, la clinique semble démontrer qu’une forme de vie affective perdure chez le malade jusqu’au terme de la vie. Enfin, la recherche souligne le rôle des émotions, des sens et de l’environnement dans le processus de mémorisation. Je décide donc de recentrer mon approche sur le lien entre émotion, sens et mémoire. Les leviers plastiques et sensoriels - le regard et le toucher – qu’utilise l’art-thérapeute soulèvent émotions et questionnements chez Eliane, se font instruments de langage, de liaisons, de reconnaissance de l’autre en tant que sujet. Ce dialogue qui s’instaure dans le faire entre Eliane et l’art-thérapeute va donner lieu à une patiente co-construction graphique. C’est sur cette base co-construite que va s’appuyer Eliane pour imposer sa singularité picturale.