Nous avons adressé ce courrier aux art-thérapeutes diplômés des Pinceaux
jeudi 26 mars 2020 - 11ème jour du confinement
Bonjour à tous,
Nous espérons que vous allez bien et que vous prenez bien soin de vous et des vôtres. Dans cette période étrange assurer la continuité d'un accompagnement art-thérapeutique devient très difficile... mais pas toujours impossible.
Nous aimerions connaître les petites (ou grandes) actions que les art-thérapeutes ou animateurs d'ateliers d'expression, s'étayant sur leur créativité à toute épreuve, tentent de mettre en place sur le terrain, dans les secteurs de la prévention, l'accompagnement et le soin. Merci beaucoup de vos réponses !
Aux Pinceaux on se porte bien, on s'efforce d'assurer la continuité du travail qui nous tient tant à cœur.
Amitiés à tous, Patricia Riverti et l'équipe des Pinceaux
Et voilà les réponses !
Fabienne Galoche, art-thérapeute à Vichy.
Comment continuer autrement notre pratique art-thérapeutique ? Avec quoi ? Avec qui ? Où ? Est-ce possible ? Cela a-t-il du sens ? Au début, beaucoup de questions et des lueurs qui au fil des jours émergent.
Le travail régulier voire même intensifié, mené en supervision et co-vision soutient vraiment ce chamboulement. Et depuis quelques jours la proposition et le partage de l’équipe des Pinceaux permet de s’ouvrir au travail et à l’environnement de chacun et chacune, merci !
Poursuivre dans ce contexte, c’est accepter de travailler ailleurs, sans travailler différemment et ce n’est pas une mince affaire ! Cela me refait penser à ma première prise en charge à domicile, arriver dans un lieu méconnu, entrer chez l’autre, y découvrir une ambiance, une décoration, comment ne pas y être insensible ? Puis au fur et à mesure, l’environnement m’importe moins, autre chose s’est installé une rencontre humaine et plastique. Je retiens de cette expérience qu’il m’a fallu un peu de temps pour m’adapter mais que je l’ai rendu possible.
De cette situation actuelle, il me semble aussi être une évidence de rester en contact, de garder le lien chacun à sa manière avec celles et ceux que nous accompagnons et de soutenir les équipes avec lesquelles nous travaillons.
Appel téléphonique, sms, mail, vidéo, de mon côté j’essaie de m’ajuster à chacun et de garder ce lien qui nous réunit pour un temps. Les premiers contacts permettent de prendre des nouvelles. Je suis davantage attentive aux mots, à la voix, aux intonations, à tous ses sons. Au cours de l’échange, les plus petits me parlent assez spontanément de ce qu’ils font, en me montrant par photo ou vidéo partagée qu’il est possible de continuer par leur engagement corporel et leurs dessins. L’une des petites a installé ces créations dans sa chambre et me les a présentées une par une par vidéo en m’expliquant comment et avec quoi elle l’avait réalisé.
J’entends aussi la difficulté pour d’autres, davantage les adultes, à ne pas pouvoir faire en dehors de l’atelier et seul « à la maison je n’y arrive pas » « je chante, mais je n’ai pas encore joué du piano, ni sorti ma boîte d’aquarelles, ça viendra peut-être ». J’entends aussi ce qu’ils me décrivent et je perçois leur tableau ; souvent en lien avec la nature qui s’épanouit, leur jardin, le soleil, le chant des oiseaux, les chats qui se prélassent au soleil… J ’imagine ces couleurs, je leur dis que cette nature, je l’observe aussi en même temps chez moi. Nous sommes au travail de quelque chose qui s’inscrira en langage plastique dans quelques jours, dans quelques temps, après, je ne sais pas !
En institution, Ehpad, unité Alzheimer j’appelle les psychologues avec qui je co-anime les ateliers régulièrement. A ce jour la mobilisation n’est pas à la plastique, les effectifs sont tendus, leur quotidien est compliqué.
L’atelier que l’un et l’autre connaît n’est plus le même enfin pour un moment : nouveau, éphémère ou imaginaire ?
Dispositif différent, néanmoins les espaces psychiques sont bien réels et permanents. Confinement ne rime pas avec isolement en tout cas !
Continuons et avançons au jour le jour !
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Véronique Hubert, art-thérapeute à Pont-Audemer, Normandie.
J’ai été très heureuse de découvrir votre initiative.
Depuis la fermeture de l’atelier j’imagine jour après jour comment garder le contact, rester en lien avec les patients et rompre l’isolement pour ceux qui sont seuls chez eux.
La proposition qui a spontanément émergé a été de reproduire le cadre de l'atelier, tant que faire ce peut, chez la personne et de lui proposer un atelier en vidéo.
Les parents d’une petite patiente ont accepté. A ma grande surprise, ce premier atelier s’est déroulé comme si nous étions à l’atelier. La voix et l’image ont été semble-t-il suffisantes à représenter la présence, même s’il a fallut souvent valider que « j’étais là ».
L’expérience s’est reproduite avec une personne adulte. La encore, l’atelier s’est bien déroulé.
Pour ces deux moments, la préparation a été importante. Connaître les matériaux disponibles chez la personne, imprimante, type de connexion vidéo possible. Et s’assurer que la personne soit tranquille pendant le déroulement de l’atelier. Par exemple : un petit panneau sur la porte indique que l’atelier est en cours et nous remercions de ne pas déranger.
La vie qui s’organise chez chacun (quelque fois les familles se regroupent dans un seul lieu pour être ensemble) semble trouver une place pour ce moment.
En revanche, certains patients ne veulent être qu’à l’atelier. C’est à nouveau l’occasion de s’interroger sur le pourquoi au regard de la problématique du patient.
D’un point de vue technique, j’utilise l’application whatsapp sur le téléphone qui offre la possibilité d’une vidéo. Nous nous sentons plus libres et c’est très facile à positionner. Utiliser l’ordinateur semble plus compliqué. On ne peut pas toujours le transporter, les débits peuvent être lents...
Voilà comment se continue l’atelier ici. J’espère que ces quelques mots pourront aider et je reste à votre disposition pour tout échange avec grand plaisir.
Un grand merci à vous de nous donner l’opportunité de partager nos pratiques.
Prenez bien soin de vous.
Pensées respectueuses à tous les personnels de santé et à tous ceux que nous ne connaissons pas qui œuvrent à sauver nos vies.
Bien à vous
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Sabine de Roulhac, art-thérapeute en cabinet à Luxembourg, auprès d'adultes et enfants.
Merci beaucoup à tous ! c’est réconfortant de vous lire. Je vous apporte ma petite contribution, aussi.
Garder le lien ? Je remarque des réponses qui diffèrent sur cette question, selon le moment et selon les âges, entre adultes et enfants, et selon le lien déjà établi, qui est mis à l’épreuve lui aussi.
Pour les adultes, le besoin est formulé, et les choses s’organisent au fur et à mesure ; on compose ensemble pour ajuster un format. De quoi s’agit-il alors ? d’un suivi, d’un accompagnement ? Gardons le fil avant tout. Une jeune femme qui travaille en milieu médical m’a dit : «merci de donner votre temps ».
En revanche, pour les enfants, j’ai eu parfois l’impression, au début du confinement, (en passant par le portable des parents) de venir grossir la « to do list », dans une mise en place compliquée, au milieu du programme scolaire, etc. Toutefois, je continue à prendre des nouvelles et cela permet d’envisager des suivis au « cas par cas ». Plus que jamais, une approche différente à chaque fois.
Quelques exemples:
Un rendez-vous téléphonique le jour et à l’heure de la séance. La rythmicité me parait importante, même si la durée diffère. Un temps d’échange pour accueillir les émotions, puis une proposition plastique : partage d’une peinture réalisée à la maison via whatsapp si besoin ; tenir un carnet à la maison, privilégier rythme un régulier (même court, environ 15mn). « Tenir » avec un support défini, relié, délimité, procurer un cadre avec une proposition « pas obligé de remplir, peut être juste un mot, le début d’une peinture qui se continue demain... »
Caractère exceptionnel, temporalité, issue, carnet de route, de bord, de voyage intérieur, que de choses au travail !
Enfin, pour information, l’association Luxembourgeoise des art-thérapeutes diplômés (ALATD), vient de proposer un questionnaire pour recenser tous les professionnels, en vue de créer des équipes disponibles pour aborder « l’après » confinement. Ici aussi, les prisons sont fermées aux visiteurs, les maisons de personnes âgées, les centres qui accueillent des réfugiés...
A bientôt, prenez soin de vous.
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